L’immigration de travail est devenue un enjeu majeur pour les économies européennes, tiraillées entre la nécessité de combler les pénuries de main-d’œuvre et les défis sociétaux liés à l’intégration des nouveaux arrivants. Si la plupart des pays possède sa propre politique d’attractivité en matière de candidats étrangers, les trois grands pays européens ont augmenté la délivrance de visas de travail, sur fond de concurrence accrue avec d’autres pays occidentaux (États-Unis, Canada, Australie) ou des acteurs plus petits mais très attractifs (Suisse, pays du Golfe). Les données de recherches et de clics sur Indeed permettent d’éclairer ces enjeux.
Points clés :
- Globalement, la part des immigrés récents dans l’emploi augmente dans l’Union européenne et au Royaume-Uni. En France, elle oscille entre 0,5 % et 0,7 % depuis 10 ans ;
- L’intérêt des candidats étrangers ne se dément pas pour des emplois situés en Europe, y compris en France puisque la proportion de recherches effectuées depuis l’étranger a dépassé son niveau d’avant la pandémie pour s’établir à 5,2 % du total en juillet 2024 ;
- Les petites économies ouvertes et à haut niveau de vie (Luxembourg, Oman, Koweït, Suisse, Qatar, Bahreïn, Singapour, Émirats arabes unis) continuent d’occuper une place importante dans les pays les plus attractifs pour les candidats étrangers, avec une part des clics étrangers qui grimpe jusqu’à 77 % pour le Luxembourg ;
- Parmi les principaux pays occidentaux, la France et les Pays-Bas attirent relativement plus de clics de candidats qualifiés, avec 36 et 35 % des clics étrangers qui se font sur des offres à « haut » salaire, contre 17 % pour l’Espagne et 21 % pour le Royaume-Uni en queue de peloton ;
- Par rapport à la première moitié de 2019, c’est dans l’éducation et la formation, la restauration, le transport routier, la maintenance et la réparation et la médecine-chirurgie que les clics en provenance de l’étranger ont le plus progressé pour la France. Les pays d’origine des candidats sont principalement ceux du Maghreb, le Royaume-Uni, le Canada, et les États-Unis.
Les migrations internationales de travail s’accélèrent
Sur les 10 dernières années, la proportion des immigrés dans la population en emploi a significativement augmenté en Europe, en conséquence de dynamiques migratoires et économiques multiples. Dans l’Union européenne (UE), cette tendance est particulièrement marquée en particulier en Allemagne. Cette augmentation est en partie due à des politiques migratoires qui facilitent l’intégration des travailleurs étrangers dans certains secteurs clés tels que la construction, les services à la personne et l’hôtellerie-restauration. Le vieillissement de la population et les pénuries de main-d’œuvre sont en effet des moteurs structurels puissants en faveur de l’immigration de travail. Le Royaume-Uni, malgré le Brexit, continue de dépendre fortement des travailleurs immigrés, particulièrement dans les secteurs du numérique, du transport et du stockage, et de l’hôtellerie, bien que les nouvelles règles post-Brexit aient complexifié le processus pour de nombreux travailleurs européens.
Si la demande de travail étranger reste soutenue, les données d’Indeed permettent aussi de documenter précisément et en temps réel l’intérêt des candidats étrangers susceptible de la satisfaire. En juillet 2024, la part des recherches effectuées par les chercheurs d’emploi étrangers pour des postes basés dans l’Union européenne dans le total des recherches étaient deux fois celle de son point bas d’avril 2021 : elle est passée de 1,5 % du total des recherches à 3,1 % en un peu plus de 3 ans. Cependant, les chercheurs d’emploi étrangers ont montré un intérêt encore plus fort pour les grands pays européens, en particulier le Royaume-Uni, où la part des recherches effectuées par des étrangers est passée de 2,6 % à son point le plus bas en avril 2021 à 4,9 % (soit une augmentation de 88 %). La France affiche une dynamique assez similaire : la part des recherches étrangères passe de 2,9 % en juin 2020 à 5,2 % en juillet 2024 (+79 %) et est aussi attractive que le Royaume-Uni.
Parmi les autres grands pays occidentaux, ce sont l’Australie et le Canada qui ont attiré le plus les chercheurs d’emploi étrangers, même si la part des recherches étrangères a largement chuté par rapport à ses plus hauts dans ces deux pays. Plus de 14 % des recherches d’emploi pour des postes en Australie proviennent de l’extérieur du pays, un chiffre qui n’avait jamais dépassé 10 % entre 2017 et 2020. Au Canada, cette part est retombée à 6,2 %, après avoir atteint 12 % en septembre 2022. Aux États-Unis, la part des recherches en provenance de l’étranger a connu une baisse au premier semestre 2019. Elle s’élevait à 2,9 % en juillet 2023, contre 1,8 % en février 2020, loin de son pic de 3,6 % en février 2019.
En France, en Allemagne et au Royaume-Uni, la délivrance de visas de travail accompagne ce renforcement de l’importance des immigrés dans la population active. Le Royaume-Uni accorde trois fois plus de permis de travail qu’en 2019, et la France 40 % en plus. En France, les réformes récentes ont simplifié les procédures d’obtention de visas de travail, à travers des dispositifs comme le « Passeport Talent » qui facilite l’arrivée de travailleurs qualifiés dans des secteurs en tension. En Allemagne, le besoin de main-d’œuvre qualifiée a conduit à l’adoption de la loi sur l’immigration des travailleurs qualifiés (« Fachkräfteeinwanderungsgesetz »), qui a considérablement assoupli les critères de recrutement pour les travailleurs étrangers hors UE, tout en renforçant les droits et les protections de ces travailleurs une fois sur place. Au Royaume-Uni, le Brexit a profondément modifié le paysage des visas de travail. La mise en place d’un nouveau système à points, inspiré du modèle australien, a rendu le processus plus sélectif tout en renforçant les obligations des employeurs souhaitant recruter des travailleurs étrangers, y compris pour les citoyens de l’UE. Ce système met davantage l’accent sur les compétences spécifiques et le salaire, d’où une hausse des demandes de visas dans les secteurs ayant un besoin urgent de main-d’œuvre, comme la santé ou la technologie. Ces évolutions témoignent d’une volonté d’équilibrer les besoins économiques avec le contrôle des flux migratoires, tout en adaptant les cadres législatifs pour attirer les talents nécessaires au développement des économies nationales.
Un enjeu d’attractivité de plus en plus évident
Ces pays ne sont pourtant pas les plus attractifs du monde, car de petits États, dont l’économie est ouverte, diversifiée et caractérisée par un niveau de vie élevé, parviennent à attirer une proportion bien plus importante de chercheurs d’emploi étrangers. Parmi ces destinations privilégiées, le Luxembourg se distingue particulièrement : il attire le plus de candidats étrangers, avec 77 % des recherches d’emploi provenant de l’étranger. Il peut capitaliser sur le multilinguisme, les opportunités professionnelles dans le secteur financier, et le nombre important de frontaliers. La Suisse figure également dans ce top 10 mondial des destinations les plus attractives pour les chercheurs d’emploi étrangers, avec 44 % des recherches d’emploi effectuées depuis l’étranger. La stabilité économique, les salaires élevés, et l’environnement de travail attractif dans des secteurs comme la finance, la pharmacie et le numérique en font une destination prisée. De plus, les systèmes éducatifs et de santé performants, ainsi que la bonne qualité de vie, renforcent l’attrait de ces pays auprès des étrangers. Ainsi, bien que les grands pays occidentaux soient des destinations prisées pour les travailleurs étrangers, ils ne parviennent pas à rivaliser, en termes de proportion d’attraction de talents, avec ces petits États qui, grâce à une combinaison de facteurs économiques, sociaux et culturels, exercent une attractivité exceptionnelle sur le marché du travail international.
Lorsque les chercheurs d’emploi étrangers effectuent des recherches sur Indeed, ils peuvent cliquer sur des offres pour en savoir plus sur chaque poste. Au-delà de l’attractivité des pays, la répartition des clics en provenance de l’étranger en fonction des niveaux de salaire permet d’estimer quelle type d’immigration de travail chaque pays attire.
Parmi les principaux pays occidentaux, La France et les Pays-Bas se démarquent en ce que plus de 35 % des clics étrangers s’effectuent sur le tiers supérieur de la distribution des salaires (troisième tercile). Suivent les États-Unis (30 %) et le Canada (28 %). En Espagne, plus de la moitié des clics étrangers s’effectue sur les emplois les moins bien rémunérés du premier tercile, et 17 % seulement sur les emplois les mieux rémunérés du troisième tercile.
La relativement bonne attractivité de la France sur les postes les mieux rémunérés n’est pas garantie pour autant. Les familles de métiers qui montrent la croissance la plus significative en termes de clics étrangers ne sont en majorité pas dans le tercile de salaire le plus élevé. C’est l’éducation et la formation qui figurent en tête (deuxième tercile), avec une augmentation de 0,9 point (atteignant 3,2 % des clics étrangers au premier semestre 2024). Ce sont les Marocains, les Tunisiens, les Britanniques et les Américains et les Canadiens qui cliquent sur ces postes le plus fréquemment. Dans d’autres catégories avec une croissance dépassant 0,5 point (restauration, transport routier, installation et maintenance et médecine-chirurgie), les clics des pays du Maghreb sont nombreux. Ils représentent plus de la moitié du total dans le transport routier et l’installation et la maintenance. Seule la médecine-chirurgie appartient au troisième tercile de salaire.
Dans l’Union européenne dans son ensemble, le développement informatique, représentant à lui seul 8,0 % des clics provenant de l’étranger au premier semestre 2023, a vu sa part augmenter de 1,3 point depuis le premier semestre 2019. C’est aussi la catégorie la plus importante au sein des clics étrangers vers l’UE. Les chercheurs d’emploi indiens, américains et britanniques représentaient ensemble près de 40 % des clics. La restauration est néanmoins la catégorie de métiers qui voit sa part dans les clics extra-communautaires augmenter le plus (+1,6 point, représentant 6,2 % du total des clics étrangers), avec les candidats britanniques qui représentent le premier contingent avec 10,5 % du total. Les soins personnels et médicaux à domicile ont gagné 1,3 point, la maintenance-réparation 0,9 point et le transport routier 0,7 point.
En général, les étrangers sont plus susceptibles de cliquer sur des offres d’emploi lorsqu’il y a une présence significative de leur diaspora, ou lorsqu’il y a une proximité linguistique ou géographique. Tout comme les pays du Maghreb en France, les pays du Commonwealth comme l’Inde, le Pakistan, ou le Nigéria représentent une proportion significative des clics étrangers au Royaume-Uni. Il en va de même pour les pays hispanophones comme la Colombie et l’Argentine en Espagne, ou dans une moindre mesure, la Turquie en Allemagne. La théorie économique à travers les modèles de gravité, supposent généralement que la distance, la langue et la culture sont de forts déterminants de la migration.
Conclusion
Les grandes économies européennes ont tout à gagner à renforcer leur attractivité pour répondre aux besoins croissants de leurs marchés du travail, mais aussi pour rester compétitives dans un contexte global de mobilité accrue des professionnels les plus qualifiés. À mesure que les frontières s’estompent pour ces derniers, les entreprises et les États devront non seulement offrir des salaires compétitifs, mais aussi des conditions de vie attrayantes, des systèmes de santé et d’éducation performants, et une stabilité politique et économique. Les politiques d’immigration doivent également aller de pair. En investissant dans des infrastructures modernes et en renforçant leur cadre législatif pour l’accueil des travailleurs étrangers, l’Europe pourra non seulement attirer, mais aussi retenir les compétences nécessaires à sa croissance économique et à l’innovation.
Méthodologie
Cette analyse se concentre sur les pays où Indeed a un site web, où la recherche ou le clic est enregistré, et sur les pays de la localisation IP de l’utilisateur. Cela est pertinent pour définir les recherches et les clics domestiques et transfrontaliers.
Une recherche domestique est effectuée par un utilisateur dont la localisation IP est dans le même pays que le site web Indeed sur lequel il a effectué la recherche. Une recherche transfrontalière est effectuée par un utilisateur situé dans un pays différent de celui du site web Indeed utilisé pour effectuer la recherche.
Un clic est l’action de l’utilisateur de cliquer sur une offre d’emploi dans les résultats de recherche, ce qui ouvre la description complète de l’emploi. Nous interprétons cela comme une démonstration d’intérêt pour un poste spécifiquement listé. Comme dans le cas des recherches, les données sur les clics sont anonymisées et ne peuvent pas être reliées aux utilisateurs.
Les recherches ou clics intra-UE ne sont pas considérés comme transfrontaliers.