Points clés:
- La proportion des offres d’emploi exigeant au moins une licence a connu une baisse constante au cours des sept dernières années.
- La part des offres d’emploi ne mentionnant aucun diplôme a augmenté passant de 53,1 % entre janvier et septembre 2017 à 61,7 % dans la même période en 2024.
- Les exigences en matière de diplôme sont à la baisse, et ce, quel que soit le niveau de qualification.
- Entre août 2017 et août 2024, dans 83 % des familles de métiers, on constate une diminution de l’exigence consistant à demander au moins un niveau Licence dans les offres d’emploi.
Les exigences des employeurs concernant le niveau d’éducation des candidats sont en train de changer en France. Si les tensions sur le marché du travail commencent à s’assouplir du point de vue des employeurs, avec le volume d’offres sur Indeed en baisse depuis début 2023, les difficultés de recrutement semblent néanmoins avoir laissé leurs traces dans les attitudes de recrutement. Quel que soit le niveau d’éducation, les offres d’emploi exigent moins souvent un diplôme qu’il y a six ans, tandis que la proportion des annonces sans exigence de diplôme du tout ne cesse de croître. Par exemple, alors que 16,4 % des annonces demandaient au moins une Licence à la fin 2017, ce pourcentage a atteint 14,5 % en septembre 2024. Si ce changement peut encore être jugé comme faible, il s’agit néanmoins d’une baisse significative que l’on constate d’année en année, et semble être le résultat d’un lent désengagement des employeurs vis-à-vis des critères strictement académiques.
Cela pourrait indiquer que les diplômes ne sont plus perçus comme le principal critère de qualification par certains employeurs. Depuis quelques années, on constate une transition de plus en plus forte vers ce que l’on appelle le « skills-first hiring », ou l’embauche basée sur les compétences. En plus d’améliorer la qualité de l’appariement entre candidats et employeurs, cette stratégie permet de réagir de manière plus flexible aux nombreux — et rapides — changements structurels du marché de l’emploi et de l’économie plus largement. De plus, elle promet d’être plus inclusive en diversifiant davantage les profils des candidats. La réduction des exigences de diplôme, bien que graduelle, indique un déplacement continu vers des approches de recrutement plus inclusives, où les compétences et l’expérience pratique peuvent prendre plus de poids dans les processus d’embauche.
Traditionnellement, les pratiques du recrutement en France exigent à minima le baccalauréat ou un diplôme équivalent pour assurer une insertion réussie sur le marché du travail. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en France, le taux d’emploi parmi les personnes âgées entre 25 et 34 ans ne disposant pas de diplôme du second cycle de l’enseignement secondaire est de 54 %, un chiffre particulièrement bas comparé à la moyenne de l’OCDE qui est de 61 %. Parmi les environ 80 % d’une génération diplômés à ce niveau, le taux d’emploi atteint 78 %. Les ressortissants de l’enseignement tertiaire quant à eux sont employés à 88 %. Avec un taux d’emploi de 95,2 % en 2023 parmi les diplômés de grandes écoles de la promotion de 2022, leur réussite sur le marché du travail est encore supérieure à celle des autres niveaux d’éducation. L’éducation occupe donc une place centrale sur le marché du travail français, et les diplômes ne sont pas près de disparaître entièrement des offres d’emploi. Cependant, leur exigence tend à diminuer.
La majorité des offres d’emploi ne mentionne pas d’exigence en matière d’éducation
Une bonne partie — 61,7 % — des offres d’emploi depuis le début de l’année ne spécifie pas de critères de diplômes du tout. Pourquoi? D’une part, parce qu’un diplôme n’est souvent pas indispensable pour occuper certains postes; d’autre part, la nécessité d’un diplôme peut parfois être implicite, sans être explicitement mentionnée dans l’annonce. En revanche, l’analyse des offres d’emploi mentionnant des diplômes peut s’avérer complexe, car les employeurs indiquent souvent plusieurs niveaux de qualification dans une même annonce. Les exigences multiples se manifestent fréquemment lorsque l’employeur exprime une préférence pour un niveau de diplôme (comme un master) tout en étant ouvert à un diplôme moins élevé (tel qu’une licence). Cette analyse se base sur le niveau d’études le plus bas mentionné dans chaque offre d’emploi pour prendre en compte les offres à exigences multiples.
Depuis le début de l’année 2024, en moyenne 14,5 % des offres sur Indeed exigeaient au moins une Licence, contre 16,5 % dans la même période 7 ans auparavant. De même pour les autres niveaux d’éducation : les offres demandant au moins un bac + 2 ont diminué de 3,0 points, et celles demandant au moins un niveau bac de 1,4 points. La diminution de la part des offres requérant au moins un CAP ou BP (anciennement BEP) était de 1,2 points et les offres mentionnant au moins un diplôme national du brevet (DNB) d’un point. En revanche, la part des offres ne mentionnant aucun diplôme a augmenté de 8,6 points. La baisse des exigences à tous les niveaux, couplée à une hausse des offres d’emploi sans qualifications requises, suggère que les employeurs suppriment progressivement les diplômes des critères de sélection dans les annonces.
Les exigences de diplôme sont en baisse dans la majorité des familles de métiers sur Indeed. Une exception : la santé
Or ce changement de politique de recrutement ne se décline pas dans toutes les familles de métiers: tout dépend des compétences requises ainsi que de la possibilité de les vérifier à travers des entretiens et tests d’embauche, la complexité des tâches, mais aussi du degré de réglementation des professions. Dans les secteurs où la législation — et le sens commun — impose un certain niveau d’éducation pour pouvoir exercer un métier, il peut être difficile de mettre en œuvre une approche axée uniquement sur les compétences. Personne ne souhaiterait que des professionnels tels que des médecins, des avocats ou des architectes obtiennent leur poste après avoir appris leur métier en autodidacte. Cela explique aussi la proportion élevée d’offres d’emploi qui ne demandent pas explicitement un diplôme, comme c’est le cas pour 58 % des offres en médecine publiés en 2024: le niveau d’éducation requis est souvent sous-entendu. Ainsi, la probabilité d’inclure un diplôme dans les requis d’un certain poste dépend du secteur professionnel.
Le domaine ayant connu la plus grande diminution en exigences de diplôme entre 2017 et 2024 est le domaine de l’assurance (-12,7 points). Parmi les autres catégories de métiers avec les plus fortes baisses figurent le marketing (-6,9 pts), les ressources humaines (-6,5 pts), le développement de logiciels (-5,9 pts), ainsi que le service clients (-5,2 pts). Ces domaines, qui partagent une forte orientation client, une utilisation accrue de la technologie et un besoin constant d’innovation, font partie intégrante de l’économie de la connaissance, ce qui les rend particulièrement susceptibles d’évoluer vers un recrutement axé sur les compétences.
Les familles de métiers de la santé, largement réglementés, se démarquent par une augmentation des exigences en matière de diplômes universitaires. La pharmacie enregistre la plus forte hausse (+9,1 pts), suivie des soins infirmiers (+7,1 pts), de la thérapie et de l’accompagnement (+3,7 pts), de l’enseignement et de la formation (+4,1 pts), ainsi que de la médecine (+2,7 pts). Cela pourrait indiquer que les employeurs adaptent leurs annonces et communiquent plus clairement leurs réels besoins en termes de niveau de formation.
Un premier pas vers un recrutement reposant sur les compétences?
Les exigences en matière de diplômes dans les offres d’emploi restent un élément important, malgré une nette diminution dans la plupart des secteurs professionnels. L’éducation est un acquis sociétal essentiel, visant à préparer les apprenants à une vie active en accord avec leurs intérêts et talents, tout en répondant aux exigences actuelles du marché du travail. Or, en période de grandes transformations économiques, l’offre et la demande en matière de compétences ne sont pas nécessairement en équilibre: Alors que certaines professions et compétences perdent en importance, d’autres souffrent d’une importante lacune de main d’oeuvre qualifiée.
Les niveaux d’éducation jouent un rôle essentiel dans la capacité des employeurs à évaluer le niveau de compétence des candidats potentiels. Ils représentent également un indicateur clé du temps investi pour obtenir un diplôme, ainsi que de l’ambition, de la fiabilité et de la capacité à mener à bien un projet. Les professions demandant des diplômes universitaires tendent à offrir des salaires plus élevés, renforçant ainsi la motivation à consacrer temps, effort et argent à des études longues, avec la promesse d’un retour financier significatif.
Une transition vers une culture de recrutement axée sur les compétences représenterait un profond changement culturel en France, où non seulement les niveaux des diplômes, mais aussi le type d’université (notamment les grandes écoles), jouent un rôle déterminant, en particulier dans le recrutement des cadres. Il s’avère néanmoins que nombre d’employeurs sont confrontés à de nouvelles réalités économiques: la montée du numérique, la transformation des métiers et la pénurie de main-d’œuvre qualifiée poussent les entreprises à s’adapter, et elles sont de plus en plus nombreuses à reconsidérer leurs critères d’embauche. La réforme de la formation professionnelle de 2019 tient également compte des transformations de l’économie et du marché de l’emploi, et propose désormais un “plan de développement des compétences” à la place du précédent “plan de formation”. Ainsi, là où c’est possible, toutes les parties prenantes gagneraient à privilégier l’embauche axée sur les compétences.
En 2023, la part de la population agée de 25 à 64 ans ne disposant d’aucun diplôme de l’enseignement supérieur était de 58 %. Combien parmi eux ont des compétences clés qui les préparent amplement à des postes visant traditionnellement des personnes diplômées? La capacité de communication, les compétences techniques acquises en autodidacte, l’adaptabilité, la gestion de projet, le leadership et la pensée critique ne sont pas brevetés par les ressortissants de l’enseignement supérieur.
Pour s’assurer que les offres d’emploi ciblent les candidats les plus adaptés, il peut être utile que les employeurs précisent plus souvent si un diplôme est réellement nécessaire ou s’il peut être remplacé par une expérience adéquate et/ou une maîtrise démontrée des compétences. Étant donné que l’offre de main-d’œuvre française reste limitée dans certains secteurs de l’économie, l’adoption d’une politique de recrutement axée sur les compétences pourrait contribuer à élargir les viviers de candidats. Pour les salariés ou les chercheurs d’emploi, ces développements sont un signe clair qu’investir dans les compétences est rentable, peu importe leur niveau d’éducation.
Methodologie
Nous avons suivi les exigences en matière de formation en comptabilisant les offres d’emploi sur Indeed en France qui mentionnaient une ou plusieurs exigences en matière de diplôme ou de formation dans la description du poste jusqu’au 30 septembre 2024. Les données ne sont pas ajustées pour tenir compte de la saisonnalité, mais elles sont ajustées pour tenir compte des changements dans la composition des titres d’emploi en les pondérant en fonction de leur composition en 2023. Dans les cas où plusieurs exigences ont été mentionnées, la plus basse a été retenue (cela concerne environ 10 % des annonces).
Le niveau CAP/BP comprend encore l’ancienne dénomination BEP, qui a été supprimée et remplacée par le BP: souvent, les offres d’emploi contiennent encore la mention du BEP.